"Le grand mal" de Jean Forton
Né en 1930 à bordeaux et décédé en 1982 dans la même
ville, Jean Forton était un écrivain et libraire qui avait la ville girondine
dans la peau (ville souvent rendue anonyme et fictive qui servit de décor à ses
romans). De son vivant, la majorité de son œuvre est parue aux éditions
Gallimard qui semblent avoir abandonné ses œuvres puisque plus aucun des romans
qu’elles publiaient ne sont disponibles désormais. .
Il aura fallu attendre le milieu des années 90 pour
que les éditions Le Dilettante fassent redécouvrir l’auteur avec la publication
de L’enfant roi, puis de Les sables mouvants.
Au début des années 2000, les éditons Finitude ont eux
aussi contribué à la redécouverte de l’œuvre de Forton en publiant Pour passer le temps, Jours de chaleur, puis Toutes les nouvelles (2013).
Désormais, c’est à L’éveilleur d’y aller de sa
contribution en rééditant Le grand mal,
dont la première parution datant de 1959 s’est faite chez Gallimard.
L’éveilleur, éditeur bordelais – il n’y a pas de
hasard – , distribué par Harmonia Mundi (souvent gage de qualité), est un éditeur
discret qui a vu le jour en 2016. Il a publié à ce jour un peu plus d’une
vingtaine d’ouvrages dont Pipe, chien
de Francis Jammes.
Dans Le grand
mal, on suit les errements de deux adolescents de 13 ans : Arthur
Ledru et Frieman (rien à voir avec Gordon, Morgan ou le facultatif membre d’IAM).
Leur amitié est étrangement scellée en début de livre. Puisque ces deux là ne
se connaissent pas, se provoquent, et sur un malentendu, Ledru, le narrateur,
remporte le combat, suscite le respect de son adversaire qui, dans la foulée,
réclame son amitié. Ces deux là deviennent copains comme cochon, donc.
Ensemble, ils abordent un âge où la chose la plus importante, ce sont les
filles. Frieman a une copine, Georgette, à la fois jaloux et curieux, Ledru
aura un objectif : lui ravir cette fille. Une conquête aux accents de
trahison qui se révèlera peu reluisante sous bien des aspects.
Les gosses s’ennuient au collège, se moquent de
certains de leurs professeurs et le monde des adultes leur est étranger. Au
milieu de toutes ces grandes personnes qui ne les comprennent pas et qu’ils ne
comprennent pas, on trouve toutefois le personnage de Gustave qui est un
portraitiste de rue, la figure de l’artiste crève la dalle peu estimé des
adultes. Ce personnage de Gustave sert de passerelle entre les adolescents et
les adultes, même s’il est étranger à chacun de ces mondes. Cette passerelle
symbolique aura une destinée bien singulière.
Il n’y a pas d’innocence dans les figures de l’adolescent
de Jean Forton. On le voit bien puisque l’on suit Ledru de l’intérieur et que
ses rejets, ses impressions nous sont familières. De même, ses mesquineries et ses
cruautés sont les nôtres, celles de l’adolescent ingrat que tout adulte a
forcément été. Toutefois, les comportements de ces ados-là recueillent parfois l’incompréhension
du lecteur, comme lors d’une scène où Ledru et Frieman viennent chahuter
Gustave, comme ça, juste pour tromper l’ennui. A travers cette scène Forton
cible à merveille ce qu’est l’effet de groupe. Il montre comment les gosses
parfois, s’engrainent, s’intoxiquent entre eux pour révéler certaines de leurs
facettes les moins reluisantes. C’est, entre autres éléments, ce qui en fait un
très bon livre sur l’adolescence, à classer sans doute aux côtés de L’Enfant de Jules Vallès, de 1969 de Ryu Murakami ou encore de
certains livres de John Fante comme Le
vin de la jeunesse ou Bandini.
Ces derniers livres appartiennent à des registres certes très différents mais traitent
avec la même profondeur, la même subtilité et le même soucis d’honnêteté un des
thèmes les plus riches de la littérature.
La tonalité de ce roman est difficilement descriptible
en un adjectif. On y trouve de l’humour, de la bravade mais aussi de la
trahison et de la lâcheté. Si ce n’était encore que cela…
Le mal réside aussi dans le fait que des enfants se
font enlever non loin d’où vivent nos deux protagonistes. Des enfants
disparaissent à la sortie de l’école sans que les autorités aient la moindre
piste. Une menace qui demeure en filigrane et traverse un livre dominé par les
affaires de cœur et préoccupations juvéniles qu’un malheur de cette envergure
aura vite soufflé. En définitive, Le
grand mal en question, renvoie sans doute à la cruauté des plus grands
ainsi qu’à leurs noirs desseins. Choses face auxquelles des gosses, si
turbulents soient-il, demeurent impuissants.
Le
grand mal de Jean Forton, L’Eveilleur,
2018. 18 euros.
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